Chapitre 5 : L’impact d’une reconnaissance juridique ambigüe

5.1. Le baobab, refuge du lépreux

5.1.1. Les emblèmes du Sénégal

Le baobab et le lion sont les emblèmes du Sénégal. Leurs images sont utilisées pour symboliser les institutions de la République du Sénégal. Le lion représente le courage et la bravoure. Le baobab représente la puissance, le sacré et la longévité, ainsi que l’utilité car tout ce qui le constitue sert d’une façon ou d’une autre.

Le baobab

L’étymologie du mot baobab vient de l’arabe « bu hibab », fruit à nombreuses graines. En effet, plusieurs centaines de graines sont contenues dans chacun de ses fruits ovales. De la famille des Bombacacées (comme le fromager et le kapokier), le baobab est du genre « adansonia ». Avec ses fleurs blanches pendantes, le baobab africain est nommé « adansonia digitata » par les botanistes.

Arbre typique de l’Afrique tropicale et très présent au Sénégal, le baobab africain est aussi appelé « arbre de mille ans » car il est d’une longévité exceptionnelle. D'une croissance lente, on trouve des spécimens qui seraient âgés de près de deux mille ans. Les méthodes de dendrochronologie ne déterminent leur âge que d’une façon approximative, car les baobabs ne produisent pas de cernes tous les ans du fait des sécheresses récurrentes touchant la savane africaine50.

Si sa hauteur est habituellement peu élevée (quatorze à vingt trois mètres), la circonférence gigantesque de son tronc peut atteindre trente huit mètres. Avec son tronc ventru et son bois mou gorgé d’eau, il a une allure caractéristique. Son écorce est fibreuse, grise et lisse, quelquefois irrégulièrement tuberculée. Certains anciens racontent d’ailleurs que le baobab aurait un obscur rapport avec l’éléphant.

Le fruit du Baobab a une forme oblongue d'environ dix centimètres de diamètre et vingt centimètres de long. Il est appelé « bouye » (pain de singe en wolof), car, comme les humains, les singes aiment consommer les petites graines au goût acidulé qu’ils contiennent.

Il porte une couronne de branches irrégulières et dépourvues de feuilles neuf mois sur douze. Semblant avoir été retourné la tête en bas, il est appelé aussi « l’arbre à l’envers ». Sa forme est associée à plusieurs légendes. Selon les Arabes, un démon aurait arraché l'arbre et planté ses branches dans le sol en laissant ses racines à l'air. Selon une autre légende, le premier esprit d'une race ancienne aurait proposé aux animaux de planter des arbres. Arrivée en retard, l’hyène aurait reçu le baobab, le dernier des arbres. Furieuse, elle l’aurait planté à l'envers. Une croyance plus répandue raconte que c’est Dieu lui-même qui l’aurait fait. Planté d’abord dans le bassin du Congo, puis à Ruwenzori, l'arbre se plaignait d'une humidité trop élevée. Irrité, Dieu décida de l'arracher. Puis il le jeta dans une contrée sèche…mais il atterrit à l'envers!

C’est ainsi que de nombreux mythes et légendes sacralisant le baobab hantent la société sénégalaise. Il a inspiré les écrivains et les poètes, les peintres et les photographes, les scientifiques et les médecins. Il tient une place prépondérante dans les cultures et les croyances autochtones. En effet, dans les savanes africaines, le baobab est l'arbre le plus facilement reconnaissable. Tant par sa présence dans une grande majorité des paysages du pays que par sa figuration emblématique dans la plupart des documents administratifs et publicitaires, le baobab est omniprésent au Sénégal. Dans la plupart des régions sub-humides semi-arides au sud du Sahara, les africains le surnomment"l'arbre magique", "l'arbre pharmacien", "l'arbre de la vie" ou encore "l'arbre sans dessus dessous".

Le baobab est l'un des arbres les plus utiles du Sahel. C'est aussi un « arbre à palabre », car les griots aimaient à s’installer sous son ombre pour conter. Considéré comme sacré, il est sacrilège de le couper. Son écorce sert à confectionner cordes et cordages. Sa sève entre dans la fabrication du papier.

C’est pourquoi, traditionnellement, il est protégé et vénéré par la population. Les villages de reclassement en ont, comme tous les villages. A Dakar, quelques baobabs ont survécu à l’urbanisation. Ils se dressent au milieu des trottoirs. Ils ont ceci de particulier par rapport aux autres arbres : aucun mendiant ou revendeur ne s’installe durablement sous son ombre.

Le lion

Les proverbes reprennent à leur manière la force des emblèmes du Sénégal : « Gouy goum ag gui moo am ndiarigne » veut dire : « C’est le grand baobab qui a beaucoup d’utilité » et « Gaïndé mooy bourou rabyi » : « Le lion est le roi des animaux », ce qui signifie que Le lion est le plus fort, le supérieur.

Le lion, comme emblème du Sénégal, tient sa réputation de courage et de bravoure de façon séculaire. En effet, cette réputation découle directement des temps anciens où les hommes et les lions vivaient ensemble dans la brousse.

  • Expérience de brousse et jeu du vrai lion

Les hommes d’une soixantaine d’années (ou plus) ont, pour certains, cette expérience de vie dans la brousse au Walo. Certains portent encore les légendes et histoires que leurs parents leur ont transmises. Selon eux, les anciens savaient dompter le lion. Ils récitaient un verset qui leur donnait le pouvoir de le domestiquer. Celui-ci venait se coucher à leurs pieds et ils pouvaient le caresser.

Parmi ces nombreux lions, quelques uns attaquaient les gens dans les champs. Si le berger qui gardait les moutons avait réussi à s’enfuir, il devenait « hors de lui », comme fou. On croit qu’un homme attrapé par un lion a l’esprit du lion en lui. Pris par le lion, il rugit comme lui. Il a ses yeux de fauve et du poil qui pousse sur sa poitrine.

Heureusement certains anciens connaissaient les formules. Pour le débarrasser de cette transe et lui arracher le caractère du lion, on faisait un jeu. L’origine du « jeu du vrai lion » vient du Walo. Gorgui Alioune Sy l’a vécu lorsqu’il avait neuf ans. Un lion lui a couru après. Ils étaient quatre enfants. Ils sont rentrés dans une boutique. Le vieux, qui savait, a fermé la porte, heureusement. « Dès qu’un lion attaque le gosse, tu récites le verset ». Il y avait une chèvre attachée devant la boutique. Le lion l’a mangée toute crue.

Alioune précise que ce lion, c’était un homme attrapé par un lion. Il raconte qu’il fallait faire attention avec ces hommes là. Quand ils mangeaient de la viande, ils pouvaient agresser celui qui cassait un os ou qui tapait sur le bord du « bol »51 pour que la moelle tombe… « sinon le gars était sur lui ! »

Pour le délivrer avec le jeu du vrai lion, tout le village était réuni. On jouait le tamtam avec les marabouts et les anciens qui savaient les versets. Il y avait des chants, des danses. Alors, le gars se mettait à tourner, à faire des convulsions, à tomber en transe… jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Quand il se réveillait, c’était fini. Ou bien, il mourait… comme N’galka dans le conte de Tounka.

Après seulement, on a imité l’homme qui a l’esprit du lion en lui pour jouer « le jeu du faux lion ». On saute, on danse, on rugit comme lui. Mais ce n’est qu’un jeu.

Le lion n’appartient pas qu’au seul règne animal, car il est plus fort que les génies. Il a le pouvoir de tuer les djinns. Force de la nature, le lion a une force surnaturelle. C’est pourquoi celui qui veut attaquer le lion doit être très intelligent et porter des gris-gris. Pour chasser le lion, c’est comme pour aller pêcher : il faut se préparer, connaître les formules et savoir où passer, sinon « la baleine va te manger ». Il y a des réalités que les anciens ne diront jamais. Sans connaissance, le lion tombe sur lui avec son fusil et il le tue, parce qu’il hypnotise sa proie. Si l’homme ne sait rien, il le tue.

  • Jean Rouch et la chasse au lion avec les Gao

Le territoire des Songhay longe un long trait du fleuve Niger, au sud-ouest de l’actuelle République du Niger et jusqu’à sa boucle dans l’actuelle République du Mali. Appartenant à une caste héréditaire, les chasseurs Songhay ont seuls le droit de tuer le lion. Les bergers Peuls, eux, attaquent les lions à coups de pierre et de bâton pour se faire respecter et marquer le territoire de leur village et de leur troupeau afin de les faire fuir. Ils estiment que le lion est nécessaire au troupeau, et ils savent d’ailleurs identifier chaque lion à ses traces. Pour bien dormir, les enfants doivent entendre le rugissement des lions.

Pour aller rencontrer ces « hommes du vent et de l’espace », Jean Rouch52 a pris le « chemin de la rue de nulle part » et traversé la brousse jusqu’au « pays de nulle part ».

Les Songhaï, respectueux de la nature, connaissent les lions. Mais il faut supprimer les lions tueurs, quand ils tuent trop de bœufs ou s’attaquent à l’humain. De 1957 à 1964 Jean Rouch a suivi les chasseurs Gaos de la région de Yatakala. Ils sont les derniers grands chasseurs de lion à l’arc. Avec un arc, ils disent pouvoir tuer cinquante à cent lions. Technique et magie sont intimement liées dans toutes les étapes de cette chasse :

La fabrication des arcs et des flèches 

Quand ils cassent la branche arrondie de l’arbre, les chasseurs l’émondent et la brandissent vers le ciel en avertissant :

« Bêtes de brousse, regardez. Voilà mon nouvel arc, votre nouvel ennemi ! »

Ils promettent de mettre le « baza »53 dans le nez du lion. Et les Gaos chantent les louanges des ancêtres chasseurs. Puis ils vont demander une flèche au forgeron, entortillée en spirale pour que le poison reste à l’intérieur.

La préparation du poison. Les hommes partent fabriquer le poison en brousse. C’est le « nagui » (le poison de la flèche). Auparavant, ils se sont rasés la tête pour se purifier.

L’initié, un des anciens parmi les chasseurs, dessine un cercle sacré pour fabriquer cette « chose grave et méchante » qu’est le poison. Les femmes et les enfants sont impérativement éloignés. Seuls rentrent dans ce cercle ceux qui y sont autorisés.

L’initié invoque le « cœur de feu » du lion :

« Ton cœur plus chaud que la flamme du feu. Dans le cœur est né le feu qui va brûler toute la brousse. »

Il verse le poison dans des morceaux de calebasse pour chacun des chasseurs (de façon à ce que tout le poison ne soit pas gâté par la faute d’un seul). Les graines sont à nouveaux chauffées pour servir de « deuxième poison » (moins fort). Le jus de la troisième cuisson sera utilisé comme médicament.

Le rituel de départ à la chasse

Les chasseurs vont trouver un devin qui lit dans la terre ou jette les cauris : malheur, accident, succès sont prédits. Dans « la Chasse au lion à l’arc » (1967) et « Un lion nommé l’Américain » (1972), Jean Rouch filme ces rituels.

Quand le malheur est annoncé, les Gaos l’affrontent en chantant « gaway gawey » : « l’air des chasseurs, des guerriers, l’air du courage ».

Un devin gourmantché dit qu’un chasseur a gâté la chasse. Après la mort de ce chasseur, le devin appelle les génies de la brousse, ces génies qui circulent dans les tourbillons. Puis il dit aux Gaos : « Vous pouvez les attraper (les lions) par la queue ! » Il leur donne le collier magique qui les rend invisibles. L’homme se transforme alors « en eau, en aiguille, en oiseau ».

La grande chasse

Pendant la phase du pistage, les chasseurs suivent la trace des lions. Ils disent que « les « buissons de lion » les voient, mais eux ne les voient pas. Ce danger impose le silence, car on risque de « rompre les charmes de brousse » si on parle trop. Et la chasse en serait « gâtée ».

Il y a plusieurs types de chasse : la première consiste à creuser une mare artificielle au pied d’un arbre ou à s’installer près d’une mare en se cachant sous un abri couvert de bois, ne laissant qu’une faille pour décocher une flèche. Mais il faut parfois attendre des semaines.

La deuxième, c’est la grande chasse. Dans la tradition, le chasseur partait tout seul, avec trois flèches, le filtre magique qui rend invisible et le courage. Un groupe de chasseur peut également poser des pièges (fabriqués au Ghana). On peut rajouter à ces pièges du parfum, car « les lions aiment le parfum, comme les belles filles ».

Plusieurs gibiers peuvent être pris au piège. Dans les films de Jean Rouch, on trouve un chacal (« l’esclave du lion »), un serval (« la première viande de brousse ») et une civette à qui on demande pardon avant de couper sa poche de parfum. Si une patte de l’hyène est prise au piège, ça signifie que la brousse est « fatiguée des chasseurs » et qu’il faut arrêter la chasse. L’hyène serait un sorcier qui mange les âmes. Son âme méchante a le pouvoir de rendre fou l’un des chasseurs.

Si c’est un lion qui a été pris au piège, il faut suivre ses traces et le retrouver, mort ou vif.

Le rituel de mise à mort

Dans un premier temps, le vieux lion tueur, dit l’« Américain », a réussi à déjouer tous les pièges. Les Gaos ont tué seulement deux de ses femelles. Ils ne parviendront à tuer l’ « Américain » que des années après.

Un des rituels du chasseur consiste à taper trois fois sur la tête de l’animal mort pour que son âme soit chassée. Par exemple, l’âme mauvaise d’une hyène pourrait gâter la brousse.

Jean Rouch montre le chasseur Tahirou en train de calmer le petit lion blessé à mort. Il encourage le jeune lion à mourir vaillamment. Et il chante les louanges du courage et de l’adresse du chasseur ainsi que celle du lion qui va mourir, tout en appelant le poison à agir :

‘« Poison « bata »
Poison femelle plus mauvais que le poison mâle,
Ton cœur est du feu,
Ton ventre est du feu,
Ton sang est du feu. »’

Tahirou parle dans son cœur à l’âme du petit lion. Il va libérer l’âme du petit lion mort en tapant trois coups sur sa tête avec son coupe-coupe. Dans la croyance populaire, un chasseur qui tue un lion risque de perdre un fils dans l’année.

Quand le lion est mort, le chasseur s’approche et le tire par la queue. Ensuite, il touche les orifices (le nez, la bouche et l’anus) en y déposant de la poudre de graines pour permettre à l’âme de sortir. Il caresse le lion ou la lionne, tout en lui demandant pardon.

Ces paroles secrètes pour chasser le lion sont transmises au sein de la caste des chasseurs. Jean Rouch montre un épisode pendant lequel un berger a été blessé par la lionne. Pour le soigner, on fabrique un abri dans la brousse : c’est « pour dissimuler la honte ». Le chasseur explique au berger qu’il a sûrement fait « une chose mauvaise » et qu’il doit demander pardon. Il lui explique (secrètement) ce qu’il doit faire pour apaiser la colère de la brousse.

Le retour au village

Le chasseur reçoit le cœur de la lionne. Il sèchera la viande du cœur pour le vendre à un homme important qui obtiendra ainsi beaucoup de courage.

Tout le groupe des chasseurs rentre au village et y reçoit un accueil triomphal :

« Ceux qui ont ramené la viande au village chassent la honte vers la brousse ».

On danse et on fait la louange des chasseurs valeureux, « ces maris comme les guerriers d’avant » qui ont plus de courage que les lions.

La fête s’organise autour du festin. On dit d’ailleurs que la viande de lion guérit les rhumatismes.

Après la chasse, les hommes racontent pendant des heures l’histoire de « gaway gawey » à leurs enfants. Ils miment et leur font revivre cette merveilleuse chasse aux lions, celle qui développe les vertus du courage et qui chasse la honte.

  • Le faux lion. Le jeu du faux lion est à la fois une danse et un art de combat dont l’espace scénique est la rue. Il s’effectue  dans l’espace circulaire dessiné par la foule dans la rue du village, cet espace pouvant se fendre, s’ouvrir et se déplacer dès que le lion se met à poursuivre une victime au sein de la foule. L’art de la scène est jouxté à l’art de la performance. Celle-ci se manifeste dans le mouvement qui alterne entre plusieurs types de gestuelles :
  • une gestuelle offensive, marquée par des sauts, des balancements de tout le corps, des coups de griffes et de pieds, des mimiques agressives, bouche ouverte et dents pointées en avant comme pour mordre et dévorer, le tout accompagné d’un grognement félin. Lorsqu’il saisit sa proie, il la tient de façon virile, souvent brutale et parfois violente. Certaines jeunes filles se mettent à pleurer et à crier.
  • une gestuelle inoffensive, le lion se recroquevillant par terre, « ronronnant » paisiblement aux pieds de celle ou de celui qui a réussi à le dompter. Il se laisse volontiers caresser comme un chat.
  • des postures de repos, allongé par terre, avec un air repus et satisfait sur le visage, moment pendant lequel l’assistance reprend son souffle en attendant de déguerpir au prochain jaillissement du lion.
  • des danses « endiablées », tenant de l’acrobatie (avec des salto arrière, des sauts très hauts) couplée à des mouvements de danse traditionnelle, ainsi que du rap54 (avec des pirouettes, des tourniquets sur les bras, le dos ou la tête), le tout sous le roulement des tamtams des griots. Pendant que le lion danse, certaines filles osent esquisser quelques pas de danse, en lui faisant face et en le provoquant. Attentives à son regard, à l’expression de son visage, elles sont prêtes à réagir au moindre de ses gestes à leur encontre et à s’enfuir à travers la foule.

Au cœur de ce jeu, il y a la palabre entre le lion et sa ou ses victimes : autour de l’argent, d’un chant ou d’une danse à donner en public, au rythme des tamtams. Malgré les refus ou les résistances, cela reste le prix à payer pour obtenir la délivrance. Et le public attend, encourageant les victimes et les applaudissant. Il faut noter ici que le faux lion ne peut s’exprimer que par des gestes et des grognements La moindre parole humaine lui ferait perdre son statut de lion.

Le jeu du faux lion donne à voir les rythmiques de la courbure dans lesquelles s’exprime la société sénégalaise : cet art de danser, de se faufiler, de se défier en se taquinant (notamment dans les relations de cousinage), de jouer et de palabrer pour le plaisir d’être ensemble…

5.1.2. L’arbre médecin – arbre éducateur

Dans les pays de l’Afrique de l’Ouest, l'intérêt des plantes sauvages pour l'alimentation des populations rurales est très largement reconnu. Comme l’ensemble de la population, les lépreux utilisent les plantes et recourent aux remèdes des tradipraticiens. Plus de trois cent cinquante espèces ont été recensées. Elles fournissent des produits indispensables à la vie de la population sous forme de substances médicales, de bois d'œuvre ou de feu, d'huile, de noix, de résines, de fibres, de fourrage, de légumes et de fruits. Particulièrement apprécié comme espèce fruitière de cueillette, le baobab d'Afrique offre une multiplicité d’usages. Toutes ses différentes parties - racines, tronc, écorce, feuilles, pulpe, graines - sont exploitées à des fins thérapeutiques et nutritionnelles. Dans la pharmacopée traditionnelle africaine, le baobab entre dans la préparation de nombreux remèdes, notamment pour les problèmes digestifs et du fait de ses vertus anti-inflammatoires.

Dans la médecine traditionnelle, la pulpe du fruit est largement utilisée comme anti-diarrhéique, anti-dysentérique, fébrifuge et analgésique, ainsi que dans le traitement de la variole et de la rougeole. Elle contient des quantités importantes d'autres vitamines, comme la thiamine (vitamine B1), la riboflavine (vitamine B2) ou encore la niacine (vitamine B3 ou PP). Les acides organiques - tels que l'acide citrique et l'acide tartrique – donnent un goût acidulé à la pulpe. Les peuples pasteurs africains les utilisent pour faire coaguler le lait. Avec cent grammes de pulpe du fruit du baobab, on obtient 300 mg de vitamine C, ainsi que 5,6% de glucides, 2,3 % de protéines et 0,27 de lipides.

Composante essentiel du régime alimentaire, la pulpe contient des fibres dont la quantité peut atteindre quarante cinq grammes pour cent grammes de produit. C’est pourquoi de nombreux groupes pharmaceutiques ont renforcé leurs recherches sur la pulpe de baobab depuis quelques années.

La feuille de baobab est riche en protéines et en minéraux (calcium, fer, potassium, magnésium, manganèse, phosphore et zinc). Elle se consomme bouillie et sert de fourrage pour le bétail durant la saison sèche.

Lorsque les graines du baobab sont grillées, elles peuvent remplacer le café. Elles sont aussi utilisées pour la fabrication de savon et d’engrais, car elles sont riches en phosphate. La pulpe des pains de singe est riche en vitamines B1 et C. Fraîche ou séchée, elle est utilisée pour la confection de boissons. Les racines des jeunes plants et les jeunes pousses sont consommées comme des asperges.

Au Sénégal, on fabrique le « lalo » en réduisant en poudre les feuilles de baobab séchées, riches en calcium et en fer. Cette poudre est incorporée aux céréales ou aux sauces, en particulier lors de la préparation du couscous de mil.

On transforme les petites graines du baobab pour en faire des colliers appelés « thiakh » (après les avoir percées de petits trous). On décore au fer rouge les gousses pour en faire des éléments artistiques. Les graines des pains de singe sont sucées comme des bonbons car leur pulpe est sucrée et acidulée.

En Afrique de l'Ouest, le "pain de singe" en décoction constitue une boisson qui, en cas de constipation, a des vertus astringentes. L’écorce et les feuilles sont utilisées dans la préparation de tisanes adoucissantes.

On peut mâcher sa pulpe et l'avaler. On peut aussi la dissoudre dans de l'eau et/ou du lait concentré afin d’en faire une boisson rafraîchissante et énergétique (appelé "bouye" au Sénégal). Dans certaines parties d'Afrique, cette boisson est quelquefois mélangée à une sorte de bière de sorgho fermentée. Brûlée, la pulpe de baobab sert à fumiger les insectes qui parasitent le bétail domestique.

Si le baobab est l’arbre médecin par excellence, il est aussi l’arbre éducateur.

Des baobabs dominants et impressionnants se dressent dans Dakar et dans sa périphérie, bien plus encore en allant vers la brousse. Depuis leur jeune âge, on apprend aux enfants – effrayés - que le baobab abrite les génies, les esprits des ancêtres et des morts. On leur donne le conseil de ne rien faire et de continuer leur chemin sans se retourner : pas un mot, pas un seul regard. L’enfant doit savoir taire sa curiosité et laisser l’autre monde vivre sa vie. Surtout, l’enfant ne doit pas avoir peur. Car c’est la peur qui va attirer le danger et le malheur.

On raconte que certains promeneurs ont perdu la raison, certains sont morts suite à ces rencontres fatales, d’autres ont disparu…

Léopold Senghor et Abdoulaye Sadji (1953) ont souvent mis en scène le baobab dans leur livre de contes destiné à l’éducation de la jeunesse sénégalaise. Ils racontent que Leuk le lièvre était arrivé près d’un énorme baobab quand soudain il entendit un bruit de voix humaines. Il commande doucement : « Ouvre-toi, baobab ! »

Là, une famille d’aveugles partageait le repas de midi. Silencieusement, il prend part au festin. Lorsque le père sent une présence étrangère, il commande à sa famille d’arrêter de manger. Leuk s’arrête également. Le père, pensant s’être trompé, demande à ce que le repas se poursuive paisiblement. Et Leuk repartit discrètement, repus.

Quand l’hyène Bouki apprit cette histoire, il fit de même. Mais, sans précaution, il attaqua le repas avec gloutonnerie. Quand le père de famille exigea le silence, Bouki continua à avaler et à renifler. Une volée de bâtons noueux et secs s’abattit sur son dos. Rossée par les aveugles, il finit par sortir à moitié assommé.

Dans l’arbre aux trésors, Henri Gougaud (1987) reprend le conte du « trésor du baobab ».

Un lièvre fit halte dans l’ombre du baobab. Il le remercia pour ce moment de fraîcheur. Le baobab lui fit goûter au délice de son fruit. Le lièvre le taquina en lui disant que le cœur qui bat dans le baobab est plus dur qu’une pierre. Alors, malgré la peur de dévoiler ses beautés secrètes, le baobab entrouvrit son écorce. Découvrant le trésor, le lièvre émerveillé lui dit combien il était le plus beau et le meilleur des arbres. Puis il retourna chez lui, l’échine lourde de tous ces biens. Sa femme l’accueillit en bondissant de joie.

Voyant cela, l’hyène, charognarde et envieuse, courut sous le baobab. Celui-ci, réjoui de la joie du lièvre, voulut lui donner sa fraîcheur, la musique de son feuillage, la saveur de son fruit et lui ouvrir son cœur. Mais l’hyène se jeta dans les profondeurs de l’arbre toutes griffes et tous crocs dehors, dévorant ses entrailles. Déchiré et blessé, le baobab se referma sur ses trésors. L’hyène s’en retourna bredouille dans la forêt. Rageuse et insatisfaite, elle court après d’illusoires jouissances. Quand au baobab, blessé d’un mal invisible et inguérissable, il n’ouvre plus son cœur à personne.

‘« En vérité, le cœur des hommes est semblable à celui de cet arbre prodigieux : empli de richesses et de bienfaits. Pourquoi s’ouvre-t-il si petitement, quand il s’ouvre ? De quelle hyène se souvient-il ? » (Ibid., 1987, 44)’
Notes
51.

Le « bol » est un grand plat autour duquel se rassemblent une dizaine de personnes pour manger traditionnellement avec la main droite. Chacun mange devant lui et peut redistribuer les aliments de choix autour de lui.

52.

Dans « Jean Rouch, le geste cinématographique » (Paris, éditions Montparnasse 2005), Pierre Braunberger a présenté une dizaine d’œuvres (+ 3 inédits) sur l’Afrique réalisées par Jean Rouch, cet ethnologue et cinéaste infatigable dont l’œuvre est fondatrice de la « Nouvelle Vague » et d’un cinéma libre. Grand « Zima » (« ami des hommes et des dieux »), il serait devenu le « gardien du fleuve Niger, vallée de la culture universelle, de sa source jusqu’à l’infini océan », selon Bernard Surugue. Aux frontières du réel et de l’imaginaire, nous avons retenu ici deux de ces œuvres : « La Chasse aux lions à l’arc » (1967, 77mn) et « Un lion nommé l’Américain » (1972, 20mn).

53.

Le « baza » est « la corde des captifs » que le chasseur met dans le nez du lion après avoir fait le rite d’élévation de son âme après sa mort. Avec ses compagnons, il rentre ainsi solennellement au village en tirant le lion.

54.

Genre musical appartenant au mouvement culturel hip-hop , le rap est un apparu au début des années 1970 aux États-Unis . Le type de mouvements saccadés et ses figures sont en partie utilisées par les jeunes qui interprètent le jeu du faux lion.